Une lettre ouverte aux autorités nigériennes.

Chères autorités de la transition, Vous devez prendre le taureau par les cornes!
Cela fait exactement 2 ans, que près d’un millier de mendiants nigériens, soit 1063 individus dont 478 enfants, 413 femmes, pour être précis, ont été chassés manu militari du Sénégal. Côté Niamey, les autorités de l’époque ont apprêté des vols pour les récupérer. Un pont aérien a même été spécialement initié par les autorités pour le rapatriement de ces mendiants. Quelle déception, quelle honte! dignité et honneur des nigériens et nigériennes bafoués. Quelques heures après l’annonce de Dakar et la réaction de Niamey, le 26 mars 2022, le fait à la “Une” a enregistré plus de 10000 vues sur le site d’information actu Niger. Les commentaires et critiques ont foisonné sur les réseaux sociaux et les médias.
Il est important de rappeler qu’entre 2022 et 2024, environ 2500 mendiants nigériens ont été refoulés des pays de l’Afrique de l’ouest (Côte d’ivoire, Bénin, Ghana). Nous avons encore souvenance des 120 mendiants déguerpis des rues de Cotonou pour rejoindre Niamey en 2017; des 558 mendiants (hommes, femmes et enfants) chassés du Ghana et rapatriés par vol spécial en juin 2022; des 700 mendiants expulsés de la Côte d’ivoire en juillet 2023. On ne le dira jamais assez, la mendicité est un fléau qui reflète une image au rabais de notre pays à l’étranger.
Les nigériens n’ont pas encore finit de digérer le coup de marteau du 05 avril 2024 concernant les 9000 migrants refoulés d’Algérie, qu’on apprend le 16 avril 2024, l’alerte signalée des autorités de Bobo Dioulasso au Burkina Faso annonçant l’arrêt immédiat des activités de mendicité de près de 1113 nigériennes vivant dans cette province. Ceci est un avertissement du Faso, en attendant leur refoulement. Devant ces faits, l’on ce demande où sont bien passé les discours sur la lutte contre la mendicité, son interdiction par la loi et la religion. Comment en ai t-on arrivé à un tel niveau d’incivisme?
Incivisme et laxisme.
Il y a quelques années encore, on se rappelle du scandale provoqué par le refoulement de centaines de mendiants nigériens d’Algérie (dont 356 mineurs étaient du voyage), de la Libye et de Côte d’ivoire. Ces personnes sont pour la plupart en provenance du département de Kantché, dans la région de Zinder. Nous avons encore en mémoire, toute l’onde de choc que cela a provoqué. L’on se demande comment ces femmes et enfants ont pu quitter le territoire, pour se rendre dans ces pays où le voyage coûte une fortune ? En tout cas les faits sont sous nos yeux. les nigériennes ont transporté la mendicité de leurs hameaux jusqu’aux pays voisins, et même très loin. On craint d’ailleurs, que cela ne devienne un métier si ce n’est déjà le cas.
Les misérables mendiants nigériens dérangent tout le monde.
Les conséquences de cet incivisme, sont ressenties: humiliation, honte et déshonneur pour la nation. Car dans ces pays de prédilection, dès qu’on voit un mendiant, la réponse est immédiate « c’est un nigérien » un point un trait. Pour l’instant ils sont refoulés. D’ailleurs je préfère dire « chassés ». Ces misérables mendiants nigériens dérangent tout le monde, comme une peste. Les pays veulent s’en débarrasser et vite. Ils doivent comprendre que chez eux c’est le Niger et non pas ailleurs. Ce n’est qu’au Niger qu’on accepte et tolère une telle pratique qui se transforme en métier. Il faut alors qu’ils retournent chez eux car ils n’ont pas de place ailleurs. On donnerait raison à ces pays qui veulent mettre de l’ordre dans leur société.
Comme le dit un adage peulh « comportement de mouton, réaction du berger ».
Le fléau de la mendicité persiste et signe!
Revenons au Niger, un pays où le taux d’extrême pauvreté a atteint 52,02 % en 2023. En raison d’une croissance négative par habitant et d’une inflation en hausse, soit 14,1 millions de personnes concernées (Banque mondiale, 2023). Le Bureau de coordination des affaires humanitaires (UNOCHA) a rapporté que 4,3 millions de personnes, soit 17 % de la population, avaient besoin d’une assistance humanitaire au Niger. En janvier 2024, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Niger a accueilli près de 690 000 réfugiés. Le compteur est toujours en marche. Et la mendicité en rajoute au score. Tels sont les chiffres dans lesquels sont confondus migrants, mendiants et refugiés.
Pour ce qui concerne la mendicité, parmi les 86 824 talibé recensés, au moins 76 080 sont forcés à mendier. 85% avaient plus de 7 ans au moment de leur admission en école coranique et 13% étaient âgés de 6 à 7 ans (Rapport de Anti-slavery international, 2020).
Toutefois, mon regard de socio-criminologue me pousse à la critique. Ces chiffres concernent uniquement les rapports officiels, et sont donc des chiffres apparents du fléau. Les chiffres réels, eux sont méconnus. Car pour les connaitre, il faut associer aux chiffres officiels (connus des services, agences et institutions nationales comme internationales), le chiffre noir; qui lui, doit provenir des enquêtes socio-anthropologiques, menées aux seins des populations, dans les proximités, ou recueillis par le biais de recensement par localité du phénomène en question c’est-à-dire « la mendicité ». On comprendra alors qu’entre la réalité relatée par statistiques et réalité existentielle, l’écart est énorme.
Des rapports sans conséquences sur la lutte contre la mendicité au Niger
Des rapports d’études et d’enquêtes sociologiques, anthropologiques, psychologiques, criminologiques, économiques….sur la mendicité, existent depuis plus de deux décennies. Ils sont illustratifs des faits de la mendicité au Niger sous toutes ses formes. Des rapports des organisations nationales, internationales, des évaluations nées de la problématique de la mendicité sont restés de simples documents servant à la consultation des chercheurs pour rédiger des mémoires de fin de cycle ou de thèses. Les recommandations issues de ses travaux sont malheureusement sans réelles effets. Car non prise en compte dans les décisions.
Il est décevant de voir les miettes de mesures annoncées par le gouvernement à l’époque. On se campe sur des forums et ateliers, des campagnes de sensibilisation menées et des lois adoptées par ci par là pour résoudre le problème. Le comble, ces mesures dignes du ‘‘marketing-publicité’’, ont été soutenues avec l’appui financier des partenaires. Lesquels ? Un tel problème social profond ne peut se résoudre dans une salle de conférence de 200 places. Ne faites pas les mêmes erreurs!
Pourquoi le fléau de la mendicité persiste et prend de l’ampleur ?
Je suis tentée de dire que des mesures sans rigueur d’application ni suivi et contrôle ne sont que vaines. Aucune mesure de ‘‘caresse’’ ne doit être acceptée face à ce fléau. Les acteurs sont unanimes sur le fait que la religion ne tolère point un tel comportement. Entre interdiction religieuse et respect de l’ordre social, les acteurs en charge de l’application des lois, règles et normes sociales doivent aller au delà des simples actions de sensibilisation ou d’accompagnement des mesures provisoires, qui finalement sont sans effet et à la limite budgétivore. Un tel ‘’phénomène générationnel ‘’ ne peut se résoudre par quelques actes ciblés à temporalité courte. Il faut sortir des débats sans vision, et affronter ce problème de manière ferme.
Une loi portant interdiction stricte de la mendicité est plus que nécessaire. Le code pénal nigérien en dispose déjà de cette mesure, que l’on rappelle en longueur des occasions. Mais où en sommes-nous en termes d’effet et d’efficacité, dans l’application des dispositions répressives en la matière? Au contraire ces mesures ne laissent-elles pas place à des interprétations de tout genre, au plaisir de ceux qu’elle arrange ?
Que dire des lois et mesures prises contre la mendicité au Niger !
Je me permet de donner mon point de vue sur l’application de chacun des articles du code pénal en lien avec mendicité.
Selon les dispositions du code pénal nigérien ; en son CHAPITRE VI : VAGABONDAGE – MENDICITE, en sa Section II : Mendicité
- Art. 179 : Toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu public ou privé sera punie d’un emprisonnement de trois à six mois.
D’accord, mais en présence de cette disposition, que font ces centaines de mendiants qui prennent service chaque matin sur les artères des villes? où en somme nous par rapport à l’application ? quelles sont les statistiques en lien avec cette mesure répressive ? Que disent les services de répression ? Voici les questions à se poser. Pour l’instant, il n’existe aucune transparence sur cette mesure, du moins aucun suivi.
- Art. 180 : Aucune peine ne pourra toutefois être prononcée contre les vieillards de plus de soixante ans et les infirmes.
Face à cette disposition on ne peut que constater le facteur de cause à effet de cette sous entendu docilité. N’est-ce pas que dans les rues, les vieilles personnes de 60 ans et même plus, sont accompagnés dans la mendicité journalière, par des jeunes enfants (filles et garçons) au bord des routes. Alors où est passé l’arsenal juridique et religieux de protection des droits de l’enfant? Pire, ce laxisme traine des faits de délinquance, vagabondage, prostitution, proxénétisme… Les mendiants auraient même appris la « culture-projet » d’après Patrick Gilliard (2005). Car le mendiant et surtout handicapé adopte et maîtrise son langage en fonction du profil de sa cible (national ou expatrié).
- Art. 181 : (Loi n° 63-3 du 1er février 1963). Les parents de mineurs de moins de dix-huit ans se livrant habituellement à la mendicité, tous ceux qui les auront invités à mendier ou qui en tirent sciemment profit, seront punis d’un emprisonnement de six mois à un an.
Au Niger, le constat révèle la présence inquiétante dans les rues des femmes mendiantes, pourtant en âge de travailler, valides et sans aucun handicap. Souvent, elles portent des bébés aux dos et trainant avec elles des petits enfants dans la rue. N’est-ce pas là une initiation à la mendicité et la recherche de profit à travers les enfants manipulés et embarqués dans une supercherie caractérisée?
cette question a été abordé par des chercheurs comme le Professeur Gueu Denis, Professeur de sociologie criminelle de l’Université d’Abidjan. Dans son étude consacrée au « Phénomène de la marginalité juvénile dans les grandes agglomérations africaines : le cas des enfants et adolescents mendiants d’Adjamé à Abidjan », l’auteur décrit à travers ses analyses que la mendicité est devenue un effet générationnel, parents mendiants dont les enfants sont à leur tour nés dans la rue et y grandissent comme tel. Ils sont en majorité de confession musulmane, appartenant à différentes ethnies sous régionales dont pour la plupart de nationalité nigérienne, et vivent en Côte d’Ivoire depuis des décennies! Etonnant ? pourtant ce fait bien décrit par Gueu Denis, illustre à suffisance le cas nigérien actuel et l’ampleur du phénomène.
- Art. 182 : Toute personne membre d’une organisation de mendiants sera punie d’un emprisonnement d’un à deux ans. L’interdiction de séjour sera en outre prononcée.
A quel membre d’une organisation de mendiants cet article s’applique-t-il ? Cependant, il est évident que les mendiants sont bien organisés, vivent en cohorte, en clans, en groupes, en réseaux, s’organisent même par ethnies, et par provenances. D’ailleurs ils ont appris ‘’le management de la culpabilité ‘’ en fonction de leurs cibles. Ces associations d’intouchables parce que “pauvres et font pitié” tirent le pays vers le bas. Car ces mendiants sont la plupart valides et peuvent bien servir pour les services d’utilité publique et communautaire, dans la salubrité urbaine, la production agricole etc. C’est encore plus bénéfique pour l’Etat et la population et pour eux-mêmes.
Que faire pour en finir?
Il s’agit une fois pour toute de prendre le taureau par les cornes. Cette expression veille de mathusalem, est encore celle qui peut clairement dire qu’il faut agir. On ne saurait trouver mieux pour le dire. L’image de la mendicité écorne notre pays, celle « d’exportateurs de miséreux mendiants »! pour reprendre les termes exactes de Ikali Dan Hadiza (actuniger.com). D’ailleurs, dans le journal le sahel paru le 21 novembre 2023, le sociologue Alou Yayé, interpelle l’Etat dans son rôle régalien. Yayé insiste sur le rôle et la responsabilité de l’Etat à prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire systématique la mendicité dans toutes ses formes et à toute personne en bonne santé, aux enfants mineurs et aux femmes. « Dura lex sed lex ».
Chères autorités, ne laisser personne de côté et ne laisser personnes sans responsabilité.
On a souvent tendance à dire que tout le monde est responsable. En réalité c’est pour que personne ne le soit. Mais les responsabilités sont bien situées. Celles-ci sont socialement et juridiquement partagées. De l’individu qui distribue les pièces d’argent, au policier de la circulation routière qui côtoie le pavé en longueur de journée, avec ses mendiants postés aux feux optiques des carrefours, en passant par ceux/celles qui votent les lois, qui l’appliquent. Etat, populations, chefs et leaders marabouts, imams et autorités locales…. chacun ! Alors ne laisser personne de côté et ne laisser sans responsabilité.
Eliminer ce misérable label sous régional de la mendicité!
Chères autorités de la transition, vous avez le pouvoir et le devoir de sauver l’honneur du Niger de ce misérable label sous régional de la mendicité.
La loi existe, et si nul n’est censé l’ignorer, les mendiants sont-ils exemptés de la connaître et de s’y conformer ? Bien sûr que non ! car nul n’est au-dessus de la loi dirait le magistrat. Dans ce cas appliquez la loi de manière stricte, sans demi mesure. Par ailleurs, Etat et populations associations, ONG, centres et fondations et j’en passe, qui sont impliqués dans la lutte contre la mendicité sont interpellés. Votre rôle doit être la mise en route d’un programme national de lutte contre la mendicité et sans plus tarder.
Ce programme doit être conjointement porté par les ministères concernés par la lutte contre ce fléau. Une stratégie claire, incluant des directives précises et un cadre d’actions concrètes, est d’abord un point de départ. En attendant, une brigade de surveillance pure et dure sur les artères et carrefour de jours comme de nuits, est nécessaire pour faire appliquer déjà les mesures existantes de la loi. Qu’on qualifie cela d’entrave à la liberté d’aller et venir ou autre chose, il est important de retenir que la mendicité n’a jamais honoré ou rendu riche une personne.
Chères autorités, notre cher pays le Niger est plus que jamais indexé par ce fléau, cela y va de l’honneur de la nation nigérienne qui aspire à la prospérité, et à la dignité. Il est temps de mettre fin à cette pratique nationalement humiliante. Les acteurs doivent arrêter le débat de salons et de plateaux télé, car la solution à la lutte contre la mendicité ne se trouve pas là. Elle se trouve dans les prises de décisions et se constate par les actes sans complaisance ni condescendance.
Par Fatimata Ly
Criminologue, spécialiste en gouvernance et management public.